« Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Comme il est logique pour une épidémie, la pandémie liée au Covid 19 n’a épargné aucun des assureurs dommages, les assureurs Vie étant quant à eux préservés. Les assureurs automobiles qui ont fait leurs choux gras de la baisse de la fréquence pendant le premier confinement, les assureurs santé qui ont gagné beaucoup d’argent, puisque pendant cette même période des clients n’allaient plus chez le médecin et les assureurs risques d’entreprises qui n’ont pas payé les pertes d’exploitation des PME et surtout celles des cafetiers restaurateurs.

S’il est vrai que la fréquence automobile a beaucoup diminué au printemps, les visites chez les médecins n’ont été que reportées à plus tard avec le risque, réel quoique difficile à évaluer, que certaines pathologies se soient aggravées et soient de ce fait plus couteuses. Quant à la polémique avec les restaurateurs, les assureurs n’ont fait qu’appliquer le contrat et la vieille règle qui veut que ce qui n’est pas garanti est exclu. L’immense majorité des contrats pertes d’exploitation ne couvraient pas le risque de pandémie, et il n’y avait pas de raison d’indemniser un événement que le contrat ne considérait pas comme un sinistre. La question est plus complexe pour les contrats de type « tous risques sauf », comme celui qu’aurait souscrit le groupe Tranchant, qui assigne son assureur avec des arguments plus solides.

Dans ce contexte il est étonnant de voir le ministre de l’économie et des finances, tel le lion de la fable, très en pointe sur le front de ceux qui veulent faire rendre gorge aux assureurs. « Car on veut souhaiter/ en toute justice que le plus coupable périsse. »Il veut les obliger à payer ce qui pas dû, et en les menaçant d’une taxe d’un montant plus élevé que les indemnisations réclamées. Qu’un ministre qui fut de droite, dont le bagage intellectuel est impressionnant et dont un frère est cadre dirigeant d’une grande société d’assurance, n’ait pas su que les charges imposées aux assureurs l’année N seront payées par les assurés l’année N+1 est incompréhensible. Un tel populisme serait pardonnable des partis d’extrême gauche ou d’extrême droite précisément parce qu’ils s’assument populistes, mais il est surprenant de la part d’un homme cultivé, entouré de collaborateurs de talents dont certains travaillent quotidiennement avec les assureurs.

Dans la ligne de ces comportements étonnants il faut évoquer la marche arrière de Bercy sur le projet de mécanisme assuranciel pour permettre l’indemnisation des entreprises si une pandémie venait à se reproduire. Il est de bon sens de dire que la seule solution pour prendre en charge ce type d’évènement est un mécanisme de type Cat Nat. L’Etat doit fixer les règles, les cotisations doivent être obligatoires et la gestion des sinistres sur le terrain laissée aux assureurs. Et ceci d’autant plus que le mécanisme Cat Nat a fait ses preuves. Alors que des projets avaient été élaborés dans le cadre d’une discussion entre les assureurs, le ministère des finances et des représentants des assurés, le ministre a décidé d’arrêter ces travaux au motif qu’un sinistre qui n’intervient qu’une fois tous les 25 ans ne relève pas de l’assurance. Ce sont les entreprises qui seront invitées à épargner pour se protéger elles-mêmes. On remarquera qu’un sinistre qui survient tous les 25 ans c’est une fréquence de 4% très supérieure à la fréquence observée en assurance incendie par exemple. Et l’on imagine l’enthousiasme des entreprises et de leurs actionnaires quand il s’agira de rogner les bénéfices pour alimenter cette épargne qui ne servira – et encore peut être – qu’une fois tous les 25 ans.

Pour terminer cette chronique des malheurs qui, tels la peste, frappent les assureurs il faut évoquer cette querelle interne à la Profession lorsque que des bancassureurs mutualistes ont décidé d’aider leurs clients chefs d’entreprises en leur attribuant une somme qui venait se substituer à ce qu’aurait apporté une garantie pertes d’exploitation. Dans un univers concurrentiel peut-on reprocher à une entreprise de profiter d’une position qui lui est favorable – un portefeuille de risques professionnels modeste par rapport à une grande masse de risques de particuliers – pour faire un geste en faveur de certains de ses clients, tout en réussissant un joli coup de pub ? Au contraire tous les assureurs malades de la peste ont crié « Haro sur le baudet. » D’autres mutuelles ont eu des gestes comparables tournés vers leurs sociétaires particuliers en restituant une partie des primes ou en prenant spontanément des engagements de non-augmentation des tarifs. Moins exposées médiatiquement elles n’ont pas été clouées au pilori par leurs concurrents. Ces gestes en faveur des clients, qu’il s’agisse de PME ou de particuliers, sont le fait d’entreprises de tailles très variables, mais qui ont en commun d’être mutualistes. De là à penser que le mutualisme est la vraie manière de faire de l’assurance au service des assurés et non des actionnaires, il n’y a qu’un pas, que l’on est tenté de franchir. Si la pandémie avait permis de revenir à ces fondamentaux on ne pourrait que s’en féliciter. « Quand le malheur ne serait bon / Qu’à mettre un sot à la raison, » écrit La Fontaine dans une fable moins connue.


Jean Pierre Daniel. Décembre 2020.

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